Victoire illustre parfaitement l’aphorisme de Brillat-Savarin « Dis-moi ce que tu manges : je te dirai ce que tu es ? » Avec ses trois enfants, elle a trouvé l’équilibre nécessaire à chacun, sans restriction mais avec modération, pour concilier plaisir et santé. Elle n’a pas vraiment de principes, elle est guidée naturellement par un mode de vie sain et respectueux. Ses choix visent à rendre sa vie, et celle de sa famille, la plus savoureuse possible. Les choix forts qu’elle opère dans son métier sont raccords avec sa vie personnelle. Les intentions particulières vis-à-vis de ses employés ou des gens du quartier, son engagement auprès des réfugiés politiques, qu’elle évoquera à demi-mot, compose le portrait d’une femme que j’admire pour son humilité.
Elle pensait ne pas avoir beaucoup d’éléments à m’apporter, au contraire, elle me révèle des conseils et astuces qui serviront à alléger le quotidien de chaque famille débordée.
Peux-tu te présenter ?
J’ai mis un peu de temps à trouver ce que je voulais faire. J’ai travaillé dans une agence de pub pendant quatre ans mais ça manqué un peu de sens, j’avais besoin d’un peu plus d’engagement. J’ai eu une expérience chez Médecins du Monde puis j’ai entamé des études pour être assistante sociale. J’ai eu par la suite une expérience de deux ans dans une boutique bio dans le 10ème arrondissement, à l’issue de laquelle j’ai décidé de monter mon affaire. J’ai été sensibilisée à cet univers par ma sœur qui est naturopathe. Devenir maman aussi c’était prendre conscience d’un nouveau mode de vie. J’ai ouvert Belleville en Bio, une épicerie bio. J’ai fini par rejoindre le réseau Biocoop au bout de deux ans. Pour moi, c’était important parce que c’est une coopérative qui a des valeurs assez fortes. Ils font des choix engagés, notamment l’acheminement des marchandises, rien n’arrive par avion, ils respectent la saisonnalité, ils sont à l’origine du vrac, qu’ils essaient d’étendre davantage. Chez Biocoop, il y a un travail d’éducation du consommateur avec le calendrier des saisons par exemple. Il est interdit désormais de vendre des bouteilles en plastique. Tous ces choix les différencient des autres enseignes.
Puis il y a trois ans, on a ouvert (avec Christian, son mari) un restaurant bio et végétarien, Hobbes, dans le même quartier. Malheureusement on a été contraint de fermer à cause de gros problèmes de sécurité dans l’immeuble. Mais ça reste une expérience humaine inoubliable.
Qui cuisine chez toi ?
La semaine, c’est vraiment moi qui vais cuisiner parce que j’ai des horaires plus souples. J’opte pour une cuisine à tendance végétale assez simple. En revanche, lorsque Christian cuisine, surtout le week-end, ce sera toujours plus élaboré. Une cuisine qui demande plus de temps et de recherche. Je suis plus dans l’efficacité ce qui n’empêche pas de faire des plats bons et équilibrés.
Avec trois enfants, dont deux ados de 17 et 13 ans, quel type de « mangeurs » êtes-vous ?
Philosophiquement, j’ai toujours adhéré aux valeurs végétariennes. Mais en pratique, on mange du poisson à la maison et très rarement de la viande. Pour ma part, la consommation de protéines animales est toujours accompagnée de questions sur la condition animale, sur l’impact écologique. Par conséquent, il n’y pas vraiment de notion de plaisir. Les enfants s’adaptent très bien sans viande, à partir du moment où c’est bon, ils mangent. On consomme uniquement des fruits et légumes de saison, c’est important de respecter le cycle de la nature.
Comment t’organises-tu au quotidien ?
Avec trois enfants et le travail, c’est vraiment un stress en moins de savoir à l’avance ce qu’on va cuisiner. Je m’aide des livres de cuisine, je note et ensuite je fais ma liste en fonction. On vit à Pantin, comme il y a très peu de commerces de bouche, je m’organise pour prévoir à l’avance. On fait des grosses courses le week-end à Paris pour la semaine. On s’approvisionne essentiellement en fruits et légumes mais aussi beaucoup de légumineuses pour rassasier l’appétit de mon ado, qui lui, a vraiment besoin de matière, de consistance. Des lentilles, des haricots rouges mais aussi du riz, des pâtes. Beaucoup de fruits secs aussi et d’oléagineux pour les goûters. Même s’il y a de temps en temps à la maison des gâteaux industriels, je privilégie les bananes séchées, les abricots secs, les noix et ils adorent ça. Finalement, c’est une question d’habitude.
Qu’aimerais-tu transmettre à tes enfants concernant l’alimentation ?
Je suis convaincue que pour faire passer un message, il ne faut pas que ce soit trop restrictif surtout avec les enfants. Je ne cherche pas à imposer un aliment ou un ingrédient mais je leur demande au moins de goûter. Je sais qu’en persévérant, ils finiront par accepter certains aliments, c’était le cas du cresson dernièrement. J’aime les endives braisées, je ne m’interdis pas d’en faire parce qu’ils n’aiment pas mais je leur propose régulièrement d’y goûter. On s’autorise un fast food occasionnellement mais je préfère qu’ils aient des réflexes « bonne santé », et dans la mesure où ils aiment ça !
As-tu des interdits et/ou des principes ?
Je n’exclus rien dans l’alimentation pour mes enfants, je n’hésite pas à cuisiner épicé, à laisser mes enfants avoir leur propres envies. Rosalie (la plus jeune) me demande quelques fois des sardines au petit déjeuner et ça ne me dérange pas. Dans d’autres pays les enfants sont habitués à manger salé le matin, je pars du principe que si c’est sain, on peut changer les codes.
Je ne force pas mes enfants à manger aux repas, en revanche, rien entre, si ce n’est des fruits.
Tes produits du placard indispensable ?
L’huile de chanvre que j’utilise en cosmétique. Je la conserve au frigo. C’est un conseil qui m’avait été donné par Joëlle Ciocco. Je me démaquillage à l’huile d’amande douce et l’huile de chanvre remplace la crème de jour.
L’huile d’olive, sur un chèvre avec du thym, des baies roses. Le gomasio en remplacement du sel et les farines autres que le blé pour limiter le gluten et varier les goûts.
Ton plat « inratable-qui-plait-à-toute-la-famille ? »
Le risotto. Parce qu’il y a une base consistante avec le riz et c’est un plat qui s’adapte en fonction des légumes de saison. Champignons, l’hiver, courgette, l’été. C’est vraiment le plat classique qu’on aime cuisiner et manger. Les currys de légumes aussi, un plat complet et équilibré.
As-tu des souvenirs liés à la nourriture ?
L’odeur est importante dans le souvenir des choses, ça marque un moment. Pour la petite anecdote, à la vente de notre précédent appartement, on avait remarqué que s’il était visité après une fournée de cookies, le moment devenait chaleureux, réconfortant. Cette odeur de biscuits chauds amené une ambiance particulière.
Il y aussi tous ces dimanches, où Christian s’était donné comme mission de trouver la recette des meilleurs cookies au monde. On faisait des tests, avec ou sans gluten, fruits secs ou chocolat, comme une sorte de concours où il fallait attribuer une note pour évaluer la qualité du biscuit. Ces moments-là resteront de bons souvenirs de partage et d’échange.
Au resto aussi, un jour, un client est rentré par hasard sans savoir que c’était végétarien. A la lecture de la carte, il s’est montré sceptique face à la proposition « green ». Il a hésité à repartir mais il a fini par manger un burger dont il s’est régalé. Par la suite, il est devenu un client fidèle qu’on revoyait chaque semaine, il revenait pour le goût. Et ça ça nous rendait heureux.
As-tu évolué dans ta façon de consommer, de cuisiner depuis quelques années ?
Avoir eu un restaurant, ça m’a vraiment permis d’évoluer. Si je m’en tiens à mes références d’enfant, c’était très basique. Des associations universelles, sans grande diversité comme le « steack-purée ». En fait, la cuisine végétarienne m’a ouverte à plus d’originalité, d’audace. Dans notre resto, le chef cuisinait le tofu, un aliment à priori fade pour moi. Il s’est avéré être en fait goûtu et délicieux lorsque que l’on apprend à la cuisiner. Cette expérience de restauration, même si elle a été courte, m’a décomplexée avec les ingrédients bio ou végétariens comme le tempeh que j’ai appris à cuisiner. Ils font désormais partis de notre quotidien.
As-tu une conscience écocitoyenne ? si oui, quels sont tes gestes pour contribuer à un monde meilleur ?
La saisonnalité évidemment. Je recycle mes déchets aussi. J’achète pas mal de produits en vrac pour réduire les emballages.
On limite le gaspillage, on ne jette jamais de la nourriture périmée aussi bien à la maison qu’au magasin. En priorité, ce sont les vendeurs qui récupèrent et aussi quelques personnes dans le quartier qui sont dans le besoin. Hier, on a fait avec les enfants des pommes au four, elles étaient un peu abimées, parfumées à la vanille et à la cannelle, c’était délicieux.
Tes petites addictions ?
J’aime le pain bien croustillant. On en achète ponctuellement et il n’est pas nécessairement bio, ce qui compte c’est le plaisir avant tout. Le fromage bien coulant comme le pont-l’évêque ou le salers de la Fromagerie Beaufils, c’est une de mes faiblesses !
Fromagerie Beaufils
118 Rue de Belleville
75020 Paris
Belleville en Bio
62 rue de Belleville
75020 Paris
photos©Lucie Cipolla / Textes et graphisme©Virginie Cipolla